Le « Digital Omnibus »: vers une simplification du RGPD et des règles de l’IA en Europe 🤝
La Commission européenne a dévoilé une proposition de règlement surnommée « Digital Omnibus » qui ambitionne de simplifier le cadre numérique européen. Au cœur du projet: des ajustements au RGPD, à l’AI Act (Acte sur l’IA) et aux règles relatives aux cookies. L’objectif déclaré est double: renforcer la compétitivité européenne et alléger certaines frictions de conformité qui pèsent sur l’innovation, sans renoncer aux droits fondamentaux des utilisateurs. Même si rien n’a encore changé en droit, la portée potentielle de ce paquet est suffisamment large pour que les équipes marketing, produit, data et conformité s’y intéressent dès maintenant.
Le mot-clé de cette évolution est la proportionnalité: clarifier quand une donnée cesse d’être « personnelle », donner plus de place aux signaux de confidentialité au niveau du navigateur, et faire évoluer la base juridique applicable à l’entraînement des systèmes d’IA. Mais l’initiative soulève aussi des inquiétudes: des groupes de défense de la vie privée, comme noyb, alertent sur un risque de dilution de protections centrales du RGPD, notamment au profit de l’adtech et des data brokers. Voici ce qu’il faut comprendre, ce qui pourrait changer, et comment vous préparer sans sur-réagir.
Ce que le Digital Omnibus changerait, en bref 🧭
Un paquet unique pour harmoniser plusieurs textes
Le Digital Omnibus propose d’amender à la fois le RGPD, l’AI Act et les règles ePrivacy sur les cookies. Cette approche transversale vise à corriger des frictions ressenties sur le terrain: redondances documentaires, incertitudes sur l’anonymisation/pseudonymisation, et fatigue des bannières de consentement. Pour les organisations, cela se traduirait par des obligations potentiellement plus claires et, dans certains cas, plus légères — tout en renforçant les instruments techniques (signaux navigateurs) qui expriment les préférences des utilisateurs.
RGPD: quand une donnée cesse-t-elle d’être « personnelle »? 🔍
La Commission souhaite préciser le moment où une information n’est plus considérée comme une « donnée à caractère personnel ». En pratique, cela renforcerait la réutilisation de jeux de données anonymisés et, dans une certaine mesure, pseudonymisés, notamment dans des cas d’usage comme l’entraînement de modèles d’IA. Une clarification bienvenue pour les équipes data, souvent coincées entre des tests d’innovations et la crainte d’un risque résiduel de ré-identification.
Attention toutefois: la frontière entre anonymisation robuste et pseudonymisation « réversible » reste délicate. Le RGPD exige que l’anonymisation soit irréversible « raisonnablement »; la proposition entend mieux définir ce « raisonnablement » à l’aune des moyens techniques et organisationnels du responsable de traitement. Les détracteurs redoutent que cette appréciation devienne trop subjective, laissant à l’entreprise un pouvoir d’auto-définition du risque qui affaiblirait la protection.
AI Act: délais et gouvernance réajustés ⏳
Le projet repousserait l’entrée en vigueur de règles plus strictes pour les systèmes d’IA à haut risque: de août 2026 à décembre 2027. Parallèlement, certaines obligations de documentation et de reporting seraient allégées pour des systèmes spécifiques, et davantage de supervision serait confiée au Bureau européen de l’IA (EU AI Office). Pour les équipes produit et conformité, ce délai supplémentaire pourrait offrir de l’oxygène pour prioriser les évaluations de risques, renforcer la traçabilité des données et établir une gouvernance modèle par modèle.
Cookies, consentement et signaux navigateurs: moins de bannières, plus d’automatisation 🍪
Alléger la « fatigue des bannières »
La Commission veut réduire la « banner fatigue » en exemptant certaines catégories de cookies « non risqués » des fenêtres de consentement. Seraient visés des usages à faible impact tels que certaines mesures d’audience ou des stockages strictement fonctionnels — sous réserve d’une définition précise, encore à venir. En clair: moins de pop-ups pour des usages limités et proportionnés.
Sur le plan UX et SEO, cela pourrait améliorer l’expérience de navigation et réduire la friction à l’entrée (notamment sur mobile), ce qui est positif pour les performances de sites et la collecte de signaux comportementaux agrégés. Mais l’optimisation SEO ne doit pas faire oublier la conformité: il faudra suivre de près les catégories qui seront effectivement dispensées de consentement pour rester aligné avec le RGPD.
Respect de signaux standardisés émis par les navigateurs 🧩
Le paquet introduit une orientation clé: exiger des sites qu’ils respectent des signaux de confidentialité standardisés et lisibles par machine (au niveau navigateur) lorsqu’ils existent. Concrètement, si l’utilisateur exprime une préférence de non-collecte via un signal standard, le site devrait s’y conformer automatiquement, sans multiplier les bannières.
Pour les responsables de la conformité RGPD, cette évolution déplace une partie de la granularité du consentement vers l’agent utilisateur (navigateur, extensions, OS). Cela nécessitera: (1) la capacité technique à détecter et interpréter ces signaux, (2) l’alignement des CMP, (3) une mise à jour des politiques de confidentialité et des registres de traitement pour documenter cette logique « privacy by default » pilotée par le navigateur.
Entraînement des IA et droits sur les données: la base juridique au cœur du débat 🤖
Une base juridique élargie pour l’entraînement des modèles
La proposition ouvrirait la possibilité d’utiliser des données personnelles de résidents européens pour l’entraînement de modèles d’IA sur une base juridique plus large que le seul consentement explicite. Des acteurs comme Google, Meta ou OpenAI pourraient s’appuyer sur des fondements alternatifs, sous certaines conditions, pour entraîner des modèles avec des jeux de données incluant des traces comportementales.
Cet assouplissement est justifié, selon la Commission, par la nécessité de soutenir l’innovation, le machine learning et la compétitivité globale de l’UE. Mais il implique des garanties concrètes: minimisation, sécurité, robustesse de l’anonymisation/pseudonymisation, et des mécanismes effectifs pour les droits des personnes (information, opposition, effacement quand applicable).
Consentement explicite vs. opt-out: la ligne rouge des défenseurs de la vie privée 🚨
Des associations comme noyb estiment que l’entraînement sur des données personnelles devrait rester soumis à un consentement explicite et granulaire — et non à un régime plus souple de type intérêt légitime, encore moins à des opt-out difficiles à exercer. Elles alertent sur la possibilité que des historiques comportementaux (ex: activités sur les réseaux sociaux) soient aspirés dans des corpus d’entraînement, sans contrôle réel des personnes concernées.
Autre point soulevé: l’introduction d’une lecture plus « subjective » des risques et des capacités techniques d’un responsable de traitement pourrait, selon ces groupes, écarter de larges segments de l’adtech et du courtage de données de l’application stricte du RGPD. En clair, le curseur de protection se déplacerait trop en faveur des collecteurs de données, au détriment du principe de protection dès la conception (privacy by design).
Pourquoi cela vous concerne dès maintenant 📊
Marketing, produit, data et DPO: des impacts potentiels
Si vous gérez l’acquisition UE, l’analytics, la publicité, un modèle de recommandation, ou un assistant IA alimenté par des données comportementales, ce projet est stratégique. À moyen terme, vous pourriez voir:
• Des bannières moins invasives pour des catégories de cookies bien définies comme « non risquées ».
• Une montée en puissance de réglages de confidentialité au niveau du navigateur, et donc des CMP qui dialoguent avec ces signaux.
• Une évolution des bases juridiques mobilisables pour l’entraînement d’IA, avec de nouvelles exigences de documentation et d’opt-out effectif.
• Des délais supplémentaires pour les volets « haut risque » de l’AI Act, permettant de prioriser les chantiers.
Ce qui ne change pas aujourd’hui ✅
Important: à ce stade, aucune loi n’a été modifiée. Vos bannières de consentement, votre configuration GA4, vos mécanismes de Consent Mode, vos DPIA, votre ROPA, restent tels quels. Le Digital Omnibus est une proposition; il faudra suivre les débats au Parlement et les trilogues éventuels avant toute mise en œuvre. Autrement dit, continuez d’appliquer le RGPD et les règles ePrivacy en vigueur, tout en vous préparant à l’atterrissage possible de nouvelles modalités.
Comment se préparer sans sur-réagir: une feuille de route pragmatique 🧭
1) Gouvernance et cartographie des données
• Mettez à jour la cartographie des sources et flux de données (collecte, enrichissement, partage, stockage, suppression).
• Distinguez clairement données personnelles, pseudonymisées et anonymisées; documentez la méthode d’anonymisation (technique employée, test de ré-identification, seuils de risque).
• Pour l’entraînement d’IA: tracez l’origine des jeux de données, la base juridique employée, et les mécanismes d’opposition/effacement.
2) CMP et signaux navigateurs
• Auditez votre CMP: capacité à détecter et honorer des signaux standardisés (quand disponibles).
• Définissez vos catégories de cookies avec précision: fonctionnels, analytiques à faible risque, marketing, profiling, etc. Préparez des scénarios « bannière allégée » si de nouvelles exemptions se confirment.
• Documentez la logique de « préférence utilisateur » au niveau navigateur, et synchronisez-la avec vos tags (client-side et server-side).
3) Analytics, tags et Consent Mode
• Consolidez l’usage du Consent Mode (v2) et la dégradation gracieuse des tags en cas de refus; vérifiez les impacts sur l’attribution et les audiences.
• Explorez l’analytics sans cookies et/ou avec modélisation statistique respectueuse du RGPD, pour réduire la dépendance au consentement quand c’est pertinent et autorisé.
• Renforcez le server-side tagging avec des règles strictes de minimisation et des contrôles d’accès.
4) IA: base juridique, DPIA et traçabilité
• Effectuez ou mettez à jour des DPIA pour vos cas d’usage IA, en décrivant les sources, la base juridique (consentement, intérêt légitime avec LIA solide, contrat, obligation légale, etc.) et les risques individuels.
• Conservez une traçabilité fine des datasets d’entraînement et des versions de modèles (data lineage, model cards).
• Si vous envisagez une base autre que le consentement, préparez des mécanismes d’opt-out réellement efficaces, accessibles et documentés, afin de rester conforme à l’esprit du RGPD.
5) Transparence et UX
• Mettez à jour les politiques de confidentialité et bannières pour expliquer clairement: quelles données, pour quels objectifs, avec quelle base juridique, et quels choix concrets s’offrent à l’utilisateur.
• Anticipez une UX « moins de bannières, plus de réglages navigateur »: explicitez dans votre interface comment l’utilisateur peut ajuster ses préférences et comment vous interprétez les signaux émis par son navigateur.
RGPD et SEO: concilier performance et conformité 🚀
Moins de friction peut rimer avec plus de cohérence
Une réduction des bannières pour des cookies non risqués, si elle est confirmée, pourrait fluidifier les parcours et améliorer les signaux d’engagement (taux de rebond, temps de session). En parallèle, l’alignement sur des signaux navigateurs standardisés peut accroître la confiance des utilisateurs. Une confiance renforcée se traduit souvent par de meilleures conversions. L’optimisation SEO naturelle passe par des contenus utiles, des performances techniques, mais aussi une conformité RGPD visible et cohérente.
Points d’attention
• Ne requalifiez pas trop vite un cookie « marketing » en « analytique non risqué ». Attendez les catégories officielles et appliquez une évaluation de risque documentée.
• Évitez tout dark pattern autour du consentement. Même si les bannières diminuent, l’esprit du RGPD reste la liberté de choix, l’information et la réversibilité.
• Sur l’IA, ne basculez pas de base juridique sans analyse d’impact. Un intérêt légitime mal fondé peut exposer à des sanctions et à un risque réputationnel.
FAQ: ce que vous vous demandez probablement 🙋
Le Digital Omnibus affaiblit-il le RGPD?
La Commission plaide une simplification et une clarification, pas un démontage. Toutefois, des ONG affirment que certaines modifications pourraient affaiblir des principes clés, notamment si la subjectivité de l’évaluation du risque et des moyens techniques du responsable devient déterminante. L’équilibre final dépendra des amendements du Parlement et des compromis interinstitutionnels.
Les cookies analytiques seront-ils exempts de consentement?
Le projet évoque des exemptions pour des usages « non risqués » et strictement fonctionnels ou analytiques, mais les catégories et conditions précises restent à définir. Il est prudent d’attendre les textes finaux avant d’ajuster vos bannières. En attendant, continuez d’appliquer le cadre RGPD/ePrivacy actuel et de proposer un choix clair aux utilisateurs.
Quand ces changements pourraient-ils entrer en vigueur?
Le calendrier dépendra des négociations législatives. Pour l’AI Act, la proposition pousse certaines exigences « haut risque » à décembre 2027 (contre août 2026). Pour le RGPD et les cookies, il faudra suivre l’adoption du paquet et d’éventuels actes d’exécution précisant les catégories de cookies et les formats de signaux navigateurs.
Pouvons-nous entraîner des modèles sur des données personnelles sans consentement?
Pas aujourd’hui. Et même si la base juridique s’élargit demain, elle viendrait avec des garde-fous stricts, une minimisation rigoureuse et des droits effectifs (opt-out, information, potentiellement effacement selon le contexte). Toute utilisation de données personnelles pour l’IA devra rester compatible avec le RGPD et documentée dans une analyse d’impact.
Points de vigilance et calendrier à surveiller 🗓️
Ce qui va compter dans les prochains mois
• Les amendements du Parlement européen sur la base juridique de l’entraînement IA et la définition des données « non personnelles ». Ils fixeront la densité des garde-fous.
• Les standards de signaux navigateurs: leur portée, leur interopérabilité et l’obligation de respect par les sites. Un standard robuste serait un tournant opérationnel majeur pour la conformité RGPD.
• Les lignes directrices qui préciseront les « cookies non risqués »: c’est le déterminant concret pour vos CMP et votre stack analytics.
• Le rôle du Bureau européen de l’IA: sa capacité à produire des guides opérationnels, à coordonner les autorités nationales et à harmoniser l’application des règles dans l’UE.
Conclusion: un rééquilibrage vers la compétitivité, à piloter sans renoncer au RGPD 🧩
Le Digital Omnibus signale un changement d’axe: l’UE veut concilier innovation (notamment autour de l’IA) et protection des individus, avec un accent renforcé sur la simplification. Pour les entreprises, c’est une opportunité de rationaliser la conformité RGPD, de réduire la friction des bannières et d’explorer des approches d’analytics et d’IA plus efficaces — à condition de rester exemplaires sur la transparence, la minimisation, la sécurité et les droits des personnes.
Votre priorité à court terme n’est pas de tout reconfigurer, mais de préparer le terrain: cartographier vos données, valider vos bases juridiques, moderniser votre CMP pour des signaux navigateurs, et muscler vos DPIA et vos contrôles d’anonymisation. En d’autres termes: gardez le cap du RGPD, anticipez les évolutions possibles, et soyez prêts à activer rapidement les ajustements lorsque le cadre se précisera.
Ce contenu ne constitue pas un conseil juridique. Pour des décisions opérationnelles engageantes, sollicitez votre DPO et/ou un avocat spécialisé en protection des données. En attendant, suivez l’actualité législative: le diable sera dans les détails… mais aussi la simplification que beaucoup espèrent. ✨